Effet miroir, l’architecture comme reflet de soi

Ravie de vous retrouver aujourd’hui pour un nouvel article de la série commencée ici, consacrée aux coulisses de mes projets d’études en école d’architecture d’intérieur.

Pourquoi cette envie de vous écrire à ce sujet ?

Parce que j’ai réalisé à quel point ce qu’on crée est toujours en partie un reflet de qui nous sommes.

Tout au long de ma reconversion, mes projets ont reflété mon état d’esprit du moment, les sujets qui me tenaient à cœur. Il y a de moi dans chaque projet, d’une manière ou d’une autre. Alors quelle meilleure manière de continuer à faire connaissance que de vous partager les coulisses de ces projets, ce qu’ils ont représenté pour moi et ce à quoi ils m’ont confronté.

Comme un portrait chinois, dis-moi quels projets tu as fait, je te dirais qui tu es !

L’occasion aussi pour moi de vous montrer qu’on a beau penser répondre à un exercice dirigé, il y a une part de nous en chaque projet.

Cette fois-ci, je vais donc vous parler du deuxième projet réalisé pendant ma première année d’école. Le deuxième projet, mais le premier projet portant réellement sur de l’architecture d’intérieur à proprement parler !

(Si vous avez suivi, le premier projet portait davantage sur de la scénographie évènementielle et était plutôt une invitation à explorer notre démarche créative – vous pouvez retrouver l’article qui y est consacré juste ici !)

Le sujet de ce projet : aménager un ancien atelier d’artiste en espace d’habitation pour deux personnes, et lieu de travail pour une de ces deux personnes.

Comme toujours dans les sujets d’école, le programme est en partie libre, ici nous sommes donc libres de choisir la typologie de personnes habitant le lieu, et leur activité professionnelle, en restant dans une sphère artistique (on ne veut pas d’un simple bureau pour du télétravail).

Parce que les choix que l’on fait sont toujours le reflet de qui l’on est

Spontanément, alors que tous mes camarades de promotion partent d’office sur le choix d’un couple comme clients, je décide de créer cet habitat pour deux sœurs. Une contrainte supplémentaire, certes, car cela implique de créer deux chambres séparées au lieu d’une seule, et je n’ai pas plus de mètres carrés que les autres. Mais j’aime les défis, et j’ai envie de sortir du schéma classique, de marquer une différence.

La réalité inconsciente derrière, que mettra en lumière ma psy lors de nos échanges : je suis à l’époque célibataire, en rébellion contre le modèle du couple traditionnel, et j’ai effectivement une sœur, donc ce choix n’est pas complètement anodin.

Quand je vous dis que les projets que l’on crée sont toujours d’une façon ou d’une autre le reflet de qui l’on est à l’instant T. Ça s’appelle l’effet miroir à ce qu’il paraît…

Maquette du loft avec sa verrière

Aperçu de l’intérieur aménagé

Un loft aménagé pour deux sœurs en colocation donc.

Vient ensuite le moment de définir les métiers de chacune et de savoir laquelle travaillera depuis l’appartement.

Le choix se fait encore une fois spontanément pour moi : une sœur sera joaillière et aura besoin d’avoir son atelier dans l’appartement, l’autre sera danseuse professionnelle, avec des horaires décalés, ce qui impliquera aussi des choix dans l’aménagement de l’espace pour que les deux sœurs ne se dérangent pas mutuellement malgré leurs rythmes de vie différents. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !

J’aime les contraintes, elles guident notre créativité.

Et puis, en termes de défis à relever, je suis à ce moment là dans une vie pleine de contraintes choisies : encore en CDI, dans le domaine de la Haute Joaillerie justement, avec les cours du soir et week-end pour ma reconversion, et des cours de danse en plus de tout ça, ma façon à moi de trouver mon équilibre… Bref, ce projet contraignant ressemble à ma vie. Il rassemble mes passions.

RDC

R+1

R+2

Mais l’effet miroir ne s’arrête pas là.

Au fur et à mesure de la conception du projet, je réalise que c’est un véritable fil rouge dans ma réflexion. Le miroir se retrouve dans tous les secteurs qui composent le projet :

  • Du point de vue de la danseuse, le miroir est un outil de travail, un élément indispensable pour ajuster sa posture, répéter encore et encore, un témoin intransigeant et poussant à la correction et l’amélioration.
  • Du point de vue de la joaillère, le miroir fait écho au « poli miroir », un terme technique pour définir un bijou poli sans rayure ni défaut, de sorte que sa brillance permet de s’y refléter comme dans un miroir.
  • Du point de vue de l’architecture, le miroir est un élément précieux permettant de jouer avec notre perception de l’espace, de l’agrandir, de lui apporter de la profondeur, de créer un effet trompe-l’œil aussi. Dans un appartement plutôt étroit comme celui du projet, c’est un vrai plus pour créer une sensation d’espace. Et le miroir est aussi un formidable moyen d’augmenter la sensation de luminosité en reflétant la lumière naturelle.
  • D’un point de vue artistique, le miroir, c’est l’accessoire indispensable à la réalisation des autoportraits. Il permet aussi de jouer avec la réalité dans certains tableaux.
  • Et enfin, d’un point de vue psychologique, l’effet miroir consiste à reconnaître en l’autre une caractéristique qui nous est propre mais que l’on ignore. Dans le cas du projet, il est intéressant de voir comme, justement, habiter avec sa sœur n’est pas anodin. Dans le lien fraternel, on se construit en parallèle, que ce soit dans la similitude ou l’opposition. La sœur est un miroir vivant avec lequel on apprend à vivre et qui nous fait évoluer.

Prenant conscience de tous ces reflets, cela devient une trame, un fil conducteur pour l’architecture de mon projet. L’objectif est d’arriver à traduire autant que possible ces subtilités conceptuelles dans la matière.

Rendre sensible cet effet miroir.

L’aménagement du loft se définit alors autour de cette direction :

  • La pièce à vivre s’installe au premier niveau, pour bénéficier d’un maximum de lumière via la verrière, et l’atelier de joaillerie s’installe en mezzanine au sommet du loft. Des espaces auxquels on accède par un escalier suspendu, construit en miroir de lui-même par rapport au plan du 1er niveau.

 

  • Les chambres des sœurs se construisent naturellement en miroir l’une de l’autre. Chacune le même espace, sur un pied d’égalité. Je choisis, qui plus est, de les positionner au rez-de chaussé du loft, un choix atypique à nouveau mais qui devient parfaitement logique d’un point de vue d’optimisation de l’exposition à la lumière naturelle.
  • L’escalier, espace majeur de circulation, devient la colonne vertébrale du projet. Il est le lien entre les espaces, il fait le lien entre les moments de vie des sœurs pour les rassembler au milieu dans la pièce à vivre. Je décide d’en faire la pièce maitresse du projet en imaginant un garde-corps composé de cadres entremêlés. Des cadres comme des miroirs qui reflèteraient d’autres miroirs, où on ne sait plus démêler le reflet de la réalité.
  • Enfin, dans la pièce à vivre, j’invente une cuisine ouverte dans la continuité d’une bibliothèque magistrale. Et devant, je positionne un miroir coulissant. Un miroir qui peut servir à la danseuse pour ces échauffements, mais qui permet aussi de venir dissimuler la cuisine quand on ne s’en sert pas, redéfinissant ainsi l’esthétique de la pièce en fonction de sa position.

Ainsi je conçois ce projet en y mettant tout ce que j’aime et en tirant le fil de ce thème du miroir jusque dans les moindres détails. C’est mon premier véritable projet d’architecture d’intérieur, et c’est véritablement le reflet de qui je suis à cet instant t.

Un miroir qui reflète qui l’on est, ou ce qu’on veut bien montrer…

 

Emportée par mon enthousiasme, j’y passe, une fois encore, des heures et des heures, de la tombée du jour au petit matin. Je tiens tellement à être fière de ce que je vais présenter au jury.

Lorsque le jour J arrive, ma présentation se passe plutôt bien… Pourtant, j’en sors complètement frustrée. Prise par le stress, je réalise une fois le moment passé que j’ai oublié de dire une bonne partie de ce que je voulais. J’ai déroulé mon projet, mais je suis totalement passée à côté de l’explication du concept. Tout ce que j’avais si précisément réfléchi et construit, je l’ai à peine abordé face au jury.

Cela ne m’empêche pas d’obtenir une excellente note, mais je me souviens avoir ruminé plusieurs jours après cette frustration de ne pas avoir détaillé comme je le voulais toutes les subtilités qui donnaient son caractère à mon projet.

On dit souvent que nous sommes nos pires juges, que nous nous jugeons souvent plus durement soi-même que les autres. C’est particulièrement vrai pour toute personne perfectionniste. Et j’en ai fait ce jour-là l’expérience flagrante. Je me rappelle avoir été tellement en colère contre moi-même, tellement énervée de ne pas avoir réussi à mentionner tout ce que je voulais de mon concept. Peu m’importait finalement la note, j’avais cette sensation désagréable de ne pas avoir réussi à montrer qui j’étais vraiment.

Entrée du loft

Cuisine avec le miroir coulissant

Salon sous la verrière

Atelier en mezzanine

Ce qui est intéressant avec le recul, c’est que, finalement, cela n’était une fois encore qu’une forme de reflet de ce que je vivais à ce moment-là dans ma vie. J’étais alors encore en CDI, merchandiser internationale le jour, et étudiante en architecture la nuit. Je menais une double vie. Et finalement, très peu de personnes avaient accès à qui j’étais vraiment. Comme face au jury, je ne me dévoilais pas pleinement.

Était-ce par peur de ce qu’on en dirait ? Surement un peu.

Par envie de protéger ce projet de reconversion qui était pour moi au stade d’embryon ? Peut-être aussi. Je n’avais aucune idée de comment les choses évolueraient concrètement à ce stade…

Une chose est sûre, je n’assumais pas. Pas encore.

Mais en voyant comme je m’en suis voulu pendant des jours de ne pas avoir su montrer mon vrai visage au jury, cela a été un électrochoc. Je ne laisserai pas cela se reproduire. Plus jamais ensuite lors d’une soutenance je ne suis passée à côté du message que je voulais livrer. Cette expérience a été une véritable leçon pour me permettre ensuite de toujours faire en sorte de dire ce que j’avais à dire. D’assumer. D’oser montrer qui je suis vraiment. Pour ne pas avoir de regrets.

C’est ce que j’espère faire encore aujourd’hui en me dévoilant à vous à travers les articles de ce blog. Assumer qui je suis. Vous partager ma façon de voir les choses. Vous montrer par l’exemple de ces projets réalisés comment l’architecture peut être un reflet de soi-même.

Parce que c’est ce que j’aime faire dans mon travail avec vous. Vous tendre un miroir. Pour révéler votre beauté cachée. Révéler vos espaces intérieurs.

Je vous remercie de m’avoir lue jusqu’ici et je vous souhaite une vie aux milles reflets assumés.